« Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé »

A l’occasion de la Solennité du Sacré-Cœur, Journée mondiale de prière pour la sanctification des prêtres, le 7 juin dernier, Monseigneur Matthieu Dupont s’est adressé aux prêtres de notre diocèse.

« Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé ». (Jn 19, 31-35)

 

J’aimerais, avec vous, contempler les textes de l’Écriture donnés en ce jour pour méditer sur le cœur d’un prêtre. Le cœur d’un prêtre comme icône du Sacré-Cœur de Jésus, non pas, très chers frères prêtres, pour nous mettre sur un piédestal, mais pour mesurer ensemble le don reçu à l’ordination et ce qu’il implique pour notre monde.

Le cœur d’un prêtre, c’est d’abord le cœur d’un homme, configuré au cœur de Jésus et donc un cœur appelé à aimer à la manière de Jésus.

 

Le cœur d’un homme.

 

Dans le livre du prophète Osée que nous avons écouté en première lecture, Dieu lui-même nous dit : « Je le guidais avec humanité, par des liens d’amour ». Le chemin de l’humanité est le chemin que Dieu a choisi pour nous sauver. C’est celui qu’il nous faut aussi parcourir. Ainsi, nous avons d’abord, très chers frères, à assumer d’avoir un cœur humain.

Dans l’Écriture, nous le savons, le cœur est d’abord le lieu de l’unification de l’être, de la conscience, ce lieu où nous sommes avec nous-mêmes de façon intime et puissante, ce lieu où tout se joue. Il n’est pas d’abord le lieu des sentiments, il est ce lieu intime où Dieu nous parle. Le Concile Vatican II évoquait dans la constitution Gaudium et Spes (N°16) la conscience comme « le sanctuaire où l’homme est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre ». Le cœur d’un homme, c’est un cœur disponible à la Parole de Dieu. Mais nous le savons aussi, le cœur d’un homme est sujet aux passions, aux mouvements intérieurs, aux élans, un cœur qui peut être soumis à certaines pulsions. Il nous faut accepter humblement tout cela et ne pas tomber dans une recherche erronée de l’impassibilité, cherchant à ne plus rien ressentir. Cette impassibilité, nous la cherchons parfois par volontarisme, et heureusement, c’est souvent un échec. Mais nous pouvons aussi insidieusement la chercher par habitude : tout est un peu plat, il n’y a plus de mouvement intérieur. Tout cela est inhumain. Si nous devons avoir un cœur pleinement humain, il nous faut accepter ses mouvements intérieurs, accepter ses désirs, accepter d’être traversé par ces mouvements qui sont aussi le gage de notre humanité et dont, si j’ose dire, le Peuple de Dieu a besoin. Le Peuple de Dieu a besoin de prêtres très humains, car c’est par ce chemin que Dieu les sauve.

Ainsi, très chers frères, veillons à avoir le cœur d’un homme et à ne pas en avoir peur. Mais nous le savons, par l’ordination, nous avons été configurés au Christ Tête, au Christ Pasteur, au Christ Epoux. Ainsi, notre cœur est appelé à refléter le cœur de Jésus.

 

Un cœur configuré au cœur de Jésus.

 

Le cœur de Jésus, dans l’Évangile, c’est un cœur qui aime, c’est un cœur qui est « ému aux entrailles ». Le même prophète Osée nous disait, en parlant de Dieu, « que ses entrailles frémissent ». Ainsi, il nous faut, les uns et les autres, aller au cœur pour aimer le peuple de Dieu qui nous est confié à la suite de Jésus. Jésus était « ému aux entrailles » vis-à-vis des foules, vis-à-vis des personnes. Jésus est celui qui nous a aimé pour nous sauver. Cet amour unique, cet amour que nous ne pouvons pas reproduire sans lui, est l’amour qui sauve. Ce cœur d’homme, cœur de Jésus, Sacré-Cœur, c’est l’être même de Dieu qui se révèle à tous par ce cœur humain, et cette révélation est source du Salut. Sur la croix, Jésus n’a pas fait autre chose. Le cœur de Jésus, c’est aussi un cœur qui souffre, un cœur qui a été traversé par la peur. Ne passons pas par-dessus Gethsémani. Acceptons, consentons, à la suite de Jésus, d’avoir un cœur mystérieusement transpercé.

Ainsi, si nous avons un cœur d’homme, nous sommes aussi configurés au cœur de Jésus. Peut-être qu’il nous faut alors accepter et consentir à avoir un cœur qui aime à la manière de Jésus. Saint Paul, dans la lettre aux Éphésiens, nous dit : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi. Restez enracinés dans l’amour, établis dans l’amour ». Que nous puissions rechoisir en ce jour d’avoir un cœur comparable et configuré à celui de Jésus.

 

Un cœur qui aime à la manière de Jésus.

 

Notre cœur de prêtre est un cœur béant par le don du célibat, qui est un don de Dieu fait à chacun d’entre nous, reconnu par nos formateurs, pour l’Église. Le célibat est un charisme reçu, et ce célibat nous invite à accepter, à consentir à avoir un cœur béant, c’est-à-dire un cœur ouvert, qui a choisi de ne jamais être satisfait, ni comblé par un amour tout humain, comme celui d’une femme ou d’un enfant. Il n’est pas si facile, chers frères et sœurs, très chers frères prêtres, de vivre le célibat. Pourtant, dans ce cœur béant, nous vivons existentiellement notre disponibilité à l’amour de Dieu et à l’amour du Peuple de Dieu. Alors, n’ayons pas peur d’avoir un cœur béant. N’ayons pas peur, à la suite de Jésus, d’avoir un cœur ouvert, tout en reconnaissant que notre cœur peut être mélangé. Si nous avons un cœur d’homme, nous avons un cœur qui peut être traversé par de nombreux désirs, et cela peut parfois nous effrayer, comme je l’évoquais. Ce cœur mélangé est appelé à s’unifier, peu à peu, par le don reçu à l’ordination : la charité pastorale. Notre vie s’unifie dans l’amour du Peuple de Dieu par la grâce reçue à l’ordination. Tout ce qui peut être mélangé est appelé à être unifié, purifié, simplifié par l’amour du Peuple de Dieu. Là est le cœur de notre vocation par amour de Jésus.

C’est pourquoi notre cœur de prêtre est appelé à devenir de plus en plus l’icône du Sacré-Cœur. Bien sûr, cette responsabilité est lourde, et nous le savons bien, parfois, les fidèles peuvent être choqués lorsque notre cœur n’est pas tout à fait icône du Sacré-Cœur, quand parfois nous sommes fatigués, las, quand parfois nos paroles peuvent être trop rudes, imprudentes. Eh bien, il nous faut simplement, avec humilité, revenir au cœur ! C’est l’appel que je nous donne pour ce jour : demeurer au cœur. « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi ; restez enracinés dans l’amour, établis dans l’amour ».

 

Veillons à notre intériorité, à l’oraison quotidienne, qu’elle soit relecture, qu’elle soit méditation, qu’elle soit ignacienne, qu’elle soit carmélitaine, peu importe, mais veillons à cette intériorité du cœur qui est le gage d’une union à Jésus. Et puis, vous le savez, aux Laudes et aux Vêpres, nous sommes invités à intercéder pour le Peuple de Dieu qui nous est confié. Il y a bien sûr ces intercessions prévues, soyons attentifs à en ajouter d’autres. Que notre prière soit traversée par cette attention au Peuple de Dieu dans la prière personnelle mais aussi dans la prière commune. Portons par ces intercessions ceux qui nous sont donnés, pour que notre charité pastorale se réalise dans cet office dont nous avons la charge. Demeurons au cœur dans l’intériorité, demeurons au cœur dans la charité pastorale par ces intercessions et veillons les uns sur les autres, afin que nous puissions toujours plus avoir un cœur d’homme, un cœur configuré à Jésus, un cœur de prêtre. Amen

 

                                                                                                                        Mgr Matthieu Dupont

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