Homélie du Mercredi des Cendres

Faudra-t-il donc qu’on dise : « Où donc est leur Dieu ? » C’est par ces mots que le prophète Joël pousse jusqu’au bout l’outrance. C’est peut-être un appel pour nous à nous poser cette question : où donc est notre Dieu ?

 

Nous pourrons découvrir que, malheureusement, ce n’est pas tant Dieu qui est absent, que nous-mêmes qui sommes absents à Dieu. C’est le drame du péché et sa réalité, qui n’est pas tant d’abord une réalité morale qu’une réalité existentielle. Nous pouvons nous couper de Dieu, nous pouvons Le mettre à l’écart et ainsi vivre sans Lui.

 

J’aimerais simplement, pour ouvrir notre Carême ce soir, nous rappeler que le péché est une blessure, une blessure qui traverse le cœur de tout homme et que Jésus a accepté de se faire blessure. Il a accepté d’aller au plus secret de notre être, là où nous nous coupons de Dieu, pour pouvoir faire ce pont avec Lui.

 

Alors, très chers frères et sœurs, en ce début de Carême, il nous faut oser un parcours profondément spirituel :

 

  • D’abord, reconnaître l’absence de Dieu dans nos vies,
  • Puis, accueillir la croix de Jésus-Christ,
  • Enfin, consentir à être éprouvés.

Reconnaître l’absence de Dieu dans nos vies

Reconnaître cette absence qui peut sembler trop importante pour nos contemporains : l’absence de Dieu dans nos hôpitaux, l’absence de Dieu dans la souffrance, l’absence de Dieu chez ceux qui vivent dans la rue, l’absence de Dieu parfois chez nos gouvernants… Tout cela, nous pouvons le percevoir et nous dire : « Où donc est leur Dieu ? »

 

Il nous faut accepter. Accepter de reconnaître cette absence, qui est une absence apparente et accepter d’éprouver cette absence. Accepter cette question tragique : « Mais Dieu, où es-tu ? » Une question qui traverse parfois nos contemporains et notre monde.

 

Il nous faut accepter de porter cela et ne pas tomber dans une tentation bien personnelle : la banalisation de l’absence. Dire : « Dieu, je le rencontre lorsque je prie, lorsque je me retrouve avec des chrétiens, mais sinon, s’Il n’est pas là, alors ce n’est pas si grave… »

 

Non ! Il nous faut, en ce début de Carême, nous laisser éprouver par ce que nos contemporains nous disent, pour pouvoir les rejoindre. Et non pas leur asséner parfois nos convictions, mais reconnaître que parfois, Dieu semble être absent.

Accueillir la croix de Jésus

Et pourtant, si nous reconnaissons, si nous percevons en nous-mêmes parfois ce vertige de l’absence apparente de Dieu, il nous faut accueillir la croix de Jésus-Christ.

 

Saint Paul, dans la deuxième lecture, nous a dit :
« Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en Lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. » Bien sûr, ici, saint Paul parle de Jésus-Christ. Mais qu’est-ce que le péché ?

 

Le péché, c’est la séparation d’avec Dieu. Le péché, c’est de ne plus éprouver Dieu. Le péché, c’est de croire et de ne plus percevoir que Dieu est là, de croire paradoxalement en l’absence de Dieu.

 

Bien sûr, cela n’est pas toujours existentiel dans nos vies. Mais parfois, nous pouvons, à certains moments de notre existence, vivre sans Dieu. Jésus est venu pour cela. Il est venu se faire blessure, se faire fracture dans nos vies, car parfois nous pouvons oublier Dieu, le mettre de côté. 

Jésus est venu pour nos péchés. Il n’est pas venu pour nous juger ou nous enfermer. Il est venu pour entrer dans nos fractures, nos blessures, nos apparences d’absence de Dieu. Jésus s’est fait blessure.

 

Alors n’ayons pas peur de Lui présenter nos blessures. N’ayons pas peur de Lui présenter nos médiocrités. N’ayons pas peur de Lui présenter nos peurs, nos angoisses. Il est venu pour cela. N’ayons pas peur de reconnaître avec nos contemporains que parfois Dieu semble absent.

 

Mais alors, où est l’espérance ?

L’espérance est dans la présence de Dieu dans nos blessures. L’espérance, c’est cette conviction intime et profonde que Dieu se rend présent là où Il semble être absent. Alors n’ayons pas peur d’aller là où Il semble être absent : dans notre monde, mais aussi en nous-mêmes.

Consentir à être éprouvé

Parfois, nous pouvons nous dire intérieurement : « Dieu n’est pas là… ». Laissons Jésus venir là où Il semble ne pas être. Et pour cela, il nous faut entendre cet appel du prophète Joël et consentir à être éprouvés :

 

« Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil. »

Le prophète Joël insiste : le jeûne, les larmes et le deuil. Il ne faut pas faire semblant de jeûner. Il ne faut pas faire semblant de pleurer. Il ne faut pas faire semblant d’être en deuil.

 

Mais, humblement, reconnaître que je m’éloigne de Dieu, que j’ai oublié Dieu, que Dieu semble absent. Il nous faut faire tomber les boucliers, tomber les masques, être nous-mêmes, nus et simples devant Dieu.

 

Le prophète Joël nous invite à déchirer nos cœurs, non pas pour montrer tout ce qu’il y a de beau dedans — Dieu le connaît — mais pour que Dieu puisse aller là où Il semble absent. Et que nous puissions dire à Jésus ce soir : « Viens. Viens dans ces endroits que je cache, dans ces endroits où je ne Te reconnais plus. »

 

Il nous faut donc, avec Lui, accepter de reconnaître et d’éprouver le manque. Le manque de la présence de Dieu. Il nous faut accepter cette conversion profonde que saint Paul nous rappelle : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu. »

 

Et pour cela, nous avons un chemin : le chemin de ce Carême qui s’ouvre et qui va s’achever sur la mort et la résurrection de Jésus. Ce chemin qu’aujourd’hui, dans l’Évangile, nous avons reconnu : Partager, Prier, Jeûner.

 

Et particulièrement en ce Carême 2025, partager, prier, jeûner en communion avec ceux qui n’ont rien, ceux qui se sentent loin de Dieu, ceux qui ont faim.

 

Peut-être avons-nous ce grave devoir de manifester notre espérance en osant vivre ce que nos contemporains vivent parfois : la désespérance. Alors, soyons fervents ! Entrons  dans ce temps de Carême en acceptant d’être éprouvés.

 

Dans quelques instants, nous allons être marqués de ces cendres, qui nous rappellent l’absence. La cendre : il n’y a plus de vie, il ne semble n’y avoir plus rien… Et pourtant, c’est de ces cendres que nous allons renaître.

 

Très chers frères et sœurs, entrons résolument dans ce Carême : Partageons, Prions, Jeûnons, en communion avec tous ceux qui n’ont rien.

 

Amen.

 

+ Matthieu Dupont

cathédrale de la Sainte-Trinité de Laval

Mercredi 5 mars 2025

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